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Paroles d’hommes : sur le chemin de la libération

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Crédit : Pixabay © 

Face à une agression sexuelle, les réponses physiologiques et psychologiques des hommes sont multiples et variées. Si certains passent par l’abstinence, d’autres vivent, au contraire, des périodes d’hypersexualité. Cinq victimes ont accepté de nous confier leurs histoires, leurs vécus. Témoignages.

TW : Cet article contient des descriptions de violences sexuelles pouvant heurter la sensibilité des lecteurs.

*Les noms de certaines victimes ont été modifiés afin de respecter leur anonymat.

17 février 2022, dix-neuf heures. Antoine*, étudiant, pose le pied dans son appartement lyonnais. Cela fait plusieurs mois que ce jeune de vingt-quatre ans souffre en silence. Suite à une rupture amoureuse, il éprouve chaque jour une profonde solitude. Donc, comme à son habitude, il ouvre une célèbre application de rencontre homosexuelle dans l’espoir de trouver un partenaire capable de soulager son fardeau, le temps d’une nuit. Il commence à échanger avec un homme, attiré par son apparence séduisante. Au bout de quelques messages, ce dernier demande à Antoine de le rejoindre dans son appartement de Villeurbanne. Le jeune étudiant ne s’inquiète pas, ce n’est pas la première fois qu’il part à la rencontre d’un inconnu. « Je m’imaginais un rendez-vous tranquille, chez lui, à boire un verre, faire connaissance avant de passer aux choses sérieuses et d’avoir des relations sexuelles », explique-t-il. Antoine appelle donc un taxi et se dirige vers le lieu de vie de cet inconnu. 

Malheureusement, dès le moment où il pose le pied chez cet homme, le jeune étudiant comprend que les choses vont prendre une tournure bien différente de ce qu’il avait imaginé. « À peine le pas de la porte franchi, cet homme, bien plus grand et fort que moi, m’a plaqué au sol et mis à quatre pattes. Au début, il ne m’a pas touché, il ne faisait que de m’insulter et de m’humilier verbalement. » Pétrifié, Antoine ne sait plus quoi faire, il est en état de choc. Mais lorsqu’il revient à lui et décide de se relever, chacune de ses tentatives de révolte se solde par une gifle et un ordre, dont les mots sonnent encore à ses oreilles : « Bouge pas ou je te fracasse. » À cet instant, plus qu’une agression sexuelle, Antoine craint pour sa vie. Son agresseur entreprend ensuite de lui retirer son t-shirt et de baisser son pantalon afin de mimer un coït. « C’est à ce moment que j’ai eu un éclair de génie. Je lui ai demandé si je pouvais me préparer à cette pénétration dans la salle de bain. Il a étonnamment accepté. Ça m’a probablement sauvé la vie », raconte Antoine.

Poussé par son instinct de survie, il se réfugie dans la salle de bain et actionne le robinet de la baignoire pour camoufler ses bruits. Il commande un taxi, priant pour que celui-ci arrive dans les plus brefs délais. Le jeune homme ouvre ensuite la fenêtre de la salle de bain menant à l’extérieur de la résidence et court le plus loin possible, aussi rapidement qu’il le peut. Après plusieurs minutes, son taxi l’appelle enfin, le sauvant de son cauchemar. « J’étais assis sur la banquette arrière, à moitié nu puisque mon t-shirt était resté chez cette ordure. Le chauffeur n’a pas compris l’état dans lequel j’étais, ni ce qu’il m’était arrivé. Il m’a tout simplement ramené chez moi, comme si rien ne s’était passé, comme s’il n’y avait pas un homme essoufflé et à moitié nu à l’arrière de sa voiture », poursuit l’étudiant de vingt-quatre ans. Après avoir rejoint le confort et la sécurité de son appartement, la première décision d’Antoine est de supprimer toute application de rencontre sur son téléphone. « Je ne pouvais plus faire confiance à qui que ce soit, je n’avais plus envie d’être intime avec quelqu’un. Et par-dessus tout, je m’en voulais, je pensais que c’était de ma faute, que je m’étais mis dans cette situation en voulant rejoindre un inconnu qui m’avait l’air sympathique dans son appartement. » 

Interview radiophonique de Dominique Demoniere

Pour tenter de surmonter cette épreuve douloureuse, Antoine a commencé une thérapie. Aux côtés de son psychologue, il parvient à « prendre du recul » sur lui-même, sur sa vie. Il parvient à déculpabiliser et comprend que ce qui lui est arrivé n’est en aucun cas sa faute :  « Je suis conscient que mon choix n’était pas le plus sûr, j’aurais pu demander à cet homme de me rejoindre dans un lieu public, comme un bar, explique-t-il. Aujourd’hui, je vais mieux, j’ai repris une vie normale et il m’arrive même d’avoir des relations sans lendemain. Mais j’ai surtout compris que je n’étais pas responsable car personne ne mérite d’être abusé et humilié comme cela. » 

Une histoire, puis deux, puis trois…

L’histoire d’Antoine n’est pas unique. Guillaume a vécu une expérience similaire il y a trois ans. Cet étudiant de vingt-deux ans, en dernière année de communication, raconte son histoire de manière très naturelle : « Je n’avais jamais eu de relations sexuelles en tant que passif (ndlr : la personne se faisant pénétrer dans un rapport anal homosexuel). Je n’avais pas vraiment envie d’essayer mais l’un de mes partenaires sexuels réguliers m’a convaincu d’essayer. » Et tout comme Antoine, Guillaume a dû faire face à la négation de son consentement et à un abus sexuel. Leur rapport débute et la douleur se fait tout de suite sentir. « Je lui ai demandé d’arrêter, j’étais en pleurs dans l’oreiller », continue-t-il. Son agresseur n’a pas écouté son non-consentement et a entrepris de continuer ce rapport forcé jusqu’à ce qu’il éjacule. 

L’étudiant en communication a tout de suite confronté son bourreau : « Tu viens clairement de m’agresser sexuellement. » Son agresseur nie tout en bloc. Quelques jours plus tard, Guillaume se confie à ses amis et leur raconte ce qu’il a subi. Bien qu’il comprenne avoir été victime d’un viol, il refuse d’accepter cela. L’étudiant craint pour sa santé mentale et pense s’effondrer s’il assume son statut de victime. « J’avais peur du jugement des autres, je ne voulais pas qu’on me regarde avec pitié », confie-t-il. Pour faire face à ce vécu, il décide d’arrêter les relations sexuelles, le temps de se remettre de ce traumatisme. Néanmoins, Guillaume explique que cet événement ne l’a pas détruit : « Je n’ai pas fait de cauchemar, je n’ai pas eu peur de revoir des hommes et je n’ai pas ressenti le besoin de voir un psychologue. Ce n’est pas cette agression qui va dicter ma vie. » 

Interview radiophonique de Dominique Demoniere

Ce viol n’était pas la première fois que Guillaume se retrouvait face à un abus sexuel. Sa première confrontation à ce type d’agression s’est déroulée l’année de ses dix-sept ans. L’adolescent, alors en classe de première, se rend  chez un ami. Il passe la nuit dans le même lit qu’une jeune fille lorsque celle-ci commence à le toucher dans son sommeil. « Je me suis réveillé et j’ai senti sa main dans mon slip, raconte-t-il. Je me suis senti extrêmement mal à l’aise et j’ai retiré sa main. » Sur le coup, le jeune homme ne s’est pas rendu compte de ce qu’il lui était arrivé, mais ce souvenir a continué à trotter dans sa tête pendant longtemps. Ce n’est que plusieurs années après que Guillaume a compris avoir été victime d’attouchements de la part d’une fille. 

Le fléau du viol conjugal

Dans un rapport rendu à l’Assemblée nationale le 22 février 2018, Hélène Furnon-Petrescu, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes de la direction générale de la cohésion sociale, rappelait que parmi les 108 000 victimes de viol ou de tentative de viol déclarées en 2017 (dont 93 000 femmes et 15 000 hommes), 91 % connaissaient l’agresseur et 45 % des agresseurs étaient le conjoint ou ex-conjoint. Un constat qui rappelle que l’agresseur n’est pas, dans la majorité des cas, un inconnu en imperméable, attendant patiemment sa victime dans une ruelle sombre. En effet, ces données permettent de rappeler l’existance du « viol conjugal » et de la réalité des agressions sexuelles au sein même du couple. 

Interview radiophonique d'Emeric Friedmann

Marco* en a fait les frais il y a de cela plusieurs années. À l’époque âgé de trente ans, il a commencé à fréquenter une jeune femme. Il raconte : « Au début, rien n’aurait pu annoncer ce qu’il allait m’arriver. C’était une femme réservée, d’une grande timidité ». Mais d’après Marco, aujourd’hui âgé de quarante-six ans, « lors de nos rapports, elle se transformait et devenait très brutale ». L’homme alors trentenaire a subi plusieurs pénétrations anales non-consenties lors de leurs rapports sexuels. Mais, séduit par la jeune femme, il se persuade que tout est normal : « Je me suis convaincu qu’il s’agissait d’un manque de communication et que nous n’étions pas suffisamment clairs sur nos envies et nos préférences sexuelles. » Mais cette illusion vole en éclat lorsque Marco la surprend, une nuit, en train de le chevaucher. « Mon pénis était en elle. Au début, je l’ai juste regardée faire. Mais lorsque le choc est finalement passé, j’ai régi. C’était la goutte de trop pour moi. Je l’ai repoussée et je lui ai demandé de quitter mon appartement. Les pénétrations non-consenties étaient déjà extrêmement violentes à mes yeux mais abuser de moi pendant mon sommeil, c’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé. »  

Pendant longtemps, il a été extrêmement difficile pour Marco de comprendre ce qu’il avait vécu. Pour lui, « il était impossible qu’un homme soit victime de violences sexuelles par une femme. On est censés être plus grands, plus forts, donc c’était presque inimaginable, selon moi, de nous imposer des rapports. » Suite à cet abus, il se réfugie dans l’abstinence : « Je n’ai pas eu de relations pendant trois ans. » Mais tout change lorsqu’il fait la rencontre d’un homme, lui-même victime d’abus sexuels de la part de son partenaire masculin. Jusqu’alors incapable de se projeter dans une relation ou même de s’ouvrir sur ce qu’il a vécu, Marco va enfin briser son silence. « Nous avons énormément parlé des horreurs que nous avons vécues et j’ai enfin réussi à mettre des mots sur ce que j’avais subi. J’ai été victime de viol. » Leur complicité s'accentue même jusqu’à aboutir à une courte relation, permettant à Marco de découvrir sa bisexualité. Une révélation qui va le pousser à ne fréquenter qu’exclusivement des hommes. « La simple idée d’être avec une femme me répugnait. Aujourd’hui, je suis toujours célibataire mais j’arrive à avoir une sexualité épanouie. » Le témoignage de Marco prouve, encore une fois, que les violences sexuelles subies par les hommes peuvent arriver à n’importe quel âge et être perpétrées par n’importe quel type de personne, quel que soit son genre et son orientation sexuelle. 

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Pour faire face à la douleur, certains hommes se tournent vers l’alcool, la drogue ou les relations sexuelles à risque. ©Pixabay 

En effet, Aurélien* a lui également subi cette violence sexuelle au sein du couple, mais cette fois, de la part de son petit-ami. Les deux jeunes hommes, âgés de vingt et un ans et en couple depuis quatre mois, éprouvent des difficultés dans leur intimité : « Nous n’arrivions jamais à passer le cap des préliminaires et il y avait toujours un blocage au moment de passer à la pénétration. Soit j’étais trop stressé et je n’arrivais donc pas à me détendre, soit il se laissait gagner par l’angoisse et n’arrivait plus à garder son excitation. » Malgré les échecs, les deux amoureux décident de réitérer l’expérience une nouvelle fois. Mais une nouvelle fois, le partenaire d’Aurélien ne put conserver son érection. « Il a saisi un sextoy et me l’a inséré de force. Je l’ai supplié d’arrêter, j’étais en larmes. » Malgré ses supplications, son petit-ami ne s’arrête pas. Aurélien perd la notion du temps. Cinq minutes se sont peut-être écoulées, il n’en est pas sûr. « Lorsqu’il s’est enfin arrêté, il m’a demandé si cela m’avait plu et j’ai répondu “Oui”. Je m’en veux encore aujourd’hui d’avoir répondu cela. » 

Deux ans se sont écoulés lorsque Aurélien raconte son histoire. Il avoue avoir fait un déni, justifiant cela par les sentiments qui l’animaient envers son petit-ami. D’après Emeric Friedmann, doctorant en Sciences Sociales ayant travaillé sur les abus sexuels au sein de la communauté LGBTQIA+, « le déni est le premier processus à survenir afin de protéger mentalement la victime de la violence qu’elle a subi ». Le jeune homme aujourd’hui âgé de vingt-trois ans confie qu’il a fallu attendre la séparation de partenaire pour réaliser ce qu’il avait vécu : « J’étais follement amoureux et j’idéalisais mon petit-ami. Après notre rupture, ces souvenirs difficiles sont revenus et j’ai enfin pris conscience de l’agression que j’avais subie. » 

Interview radiophonique de Dominique Demoniere

N’étant plus en phase de déni, Aurélien est passé par une période d’hypersexualité, enchaînant les rapports sexuels et les histoires sans lendemain avec des partenaires différents. Il avoue aujourd’hui s’être parfois mis dans des situations à risque, avec des inconnus et en ne se protégeant pas constamment. « J’en suis venu à détester mon corps et ces rapports sexuels, extrêmement violents souvent, étaient comme une manière de me flageller et de me rappeler que je ne valais pas grand chose et que je méritais ce qu’il m’était arrivé », confie-t-il. Ce n’est qu’à travers la thérapie que ce jeune adulte est parvenu à « exorciser ce souvenir douloureux ». Il explique tout de même que le chemin fut compliqué, semé d’embûches et parsemé de nombreuses rechutes. Aujourd’hui, il commence à reprendre une vie sexuelle dans laquelle il se sent « plus épanoui, plus heureux », mais poursuit ses séances de psychanalyse, dans la peur de retomber dans l’hypersexualité.  

Le danger peut survenir n’importe où

En novembre 2021, une jeune femme belge du nom de Maïté Meuus lance le phénomène #BalanceTonBar grâce à un compte Instagram. À travers ce dernier, elle relaie les témoignages de nombreuses personnes ayant subi des viols ou des agressions sexuelles après avoir été droguées à leur insu. Son compte et le hashtag associé gagnent rapidement du terrain et enflamment les réseaux sociaux. Mais s’il on a pu lire une majorité de témoignages de femmes, les hommes ne sont pas épargnés par la drogue du violeur. En effet, Mathieu* avoue avoir lui-même été victime de ce fléau qui parasite bars et boîtes de nuit. Lors d’une soirée alcoolisée dans une boîte de nuit parisienne, le jeune homme de vingt-sept ans fait la rencontre d’un garçon au physique aventageux dont il se sent tout de suite attiré. « La soirée était alcoolisée, peut-être un peu trop. J’en ai profité pour draguer quelqu’un et je sentais que le courant passait plutôt bien », relate-t-il. 

Mathieu va passer la majeure partie de sa soirée aux côtés de cet homme, « principalement parce qu’il payait des verres de vodka ». Une fête plutôt réussie donc, jusqu’à ce que Mathieu ressente d’étranges sensations. Il raconte : « Je buvais tranquillement mon verre quand tout est devenu flou. Je commençais à voir trouble, je n’arrivais plus à parler ou à bouger normalement. » 

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En juin 2022, en France, 800 personnes ont porté plainte après avoir été piquées dans un lieu festif. ©Pixabay 

La suite de l’histoire, Mathieu l’a entendue par ses amies, présentes lors de cette soirée. « Apparemment, j’étais inconscient et le garçon qui nous accompagnait a proposé de me ramener chez moi. » Suspicieuses, les femmes qui l’accompagnaient ont refusé et décidé de s’occuper elles-mêmes de leur ami. Ensemble, elles le raccompagnent jusque chez l’une d’entre elles afin qu’il passe la nuit en sécurité. Le lendemain, Mathieu raconte se sentir « assommé » et décide, par précaution, d'aller se faire tester à l’hôpital. Les résultats tombent : il y avait des traces de GHB dans son sang. « J’ai tout de suite su qu’il s’agissait de l’homme qui m’a payé des verres, je n’ai aucun doute là-dessus, explique-t-il avec conviction. Ça m’a vraiment fait froid dans le dos mais ça m’a surtout appris à faire plus attention à mon verre en soirée. On rappelle souvent aux filles qu’elles sont en danger mais on ne pense pas assez que cela peut également arriver aux hommes. » 

Son expérience étant particulièrement récente, Mathieu a refusé de témoigner sous son vrai nom et n’a également pas démarré de poursuites suite à cette « tentative d’agression », comme il la décrit. Tout comme lui, de nombreux hommes peinent à entamer les procédures nécessaires pour faire condamner leur bourreau. 

Octavien Thiebaud et Thomas Squarta

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