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 Comment les hommes se libèrent du poids des violences ? 

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Crédit : Pixabay © 

Après l’agression, après la culpabilité, le sentiment de honte, de peur et d’injustice, vient le moment de l’acceptation et de la reconstruction. Pour cela, les hommes victimes de violences sexuelles ont plusieurs outils à leur disposition. Ils peuvent choisir l’anonymat et la confidentialité de Mémo de Vie, s’orienter vers un psychologue pour un accompagnement psychique et émotionnel ou encore rejoindre un groupe de parole afin de se libérer de leurs maux et de partager leur histoire auprès d’hommes ayant vécu les mêmes traumatismes qu’eux. 

Parmi toutes les solutions à disposition des hommes victimes de violences sexuelles, il en est une qui répond à une grande majorité des problématiques évoquées par les concernés : Mémo de Vie. Lancé il y a un deux ans par la Fédération France Victimes et  sous l’égide du ministère de la Justice, Mémo de Vie est une Web App, un site Internet utilisant les capacités modernes des mobiles grâce à l’utilisation des notifications, des données GPS et de l’appareil photo. Mémo de vie est à disposition des personnes victimes de violences, quelles qu’elles soient. Tout d’abord à destination des femmes victimes de violences conjugales, le site web s’est ensuite développé afin de répondre aux besoins de victimes de différentes violences, comme les hommes ayant subi des violences sexuelles ou du harcèlement. 

Sur cette web-app totalement gratuite et confidentielle, les victimes peuvent écrire leurs pensées et extérioriser leurs émotions, comme dans un journal intime. Les hommes victimes peuvent donc répertorier leur témoignage et laisser une trace écrite des abus qu’ils ont vécu sur cette plateforme. Grâce à un espace de stockage intégré au site, appelé coffre-fort, ils peuvent également y déposer des documents et des preuves de leur agression en y incluant des captures d’écran de messages, des photos, des vidéos et également des audios. Toutes les informations sont centralisées au même endroit et sauvegardées dans un ordre chronologique. 

Grâce à certaines fonctionnalités de l’application, Mémo de Vie a aussi une portée éducative et d’accompagnement, en mettant à disposition des témoignages de victimes ainsi que des contacts de professionnels accompagnants (services sociaux, associations, avocats, enquêteurs, magistrats, médecins, psychologues…). Ainsi, les hommes peuvent partager les informations qu’ils jugent nécessaires aux professionnels concernés et avancer, pas à pas, dans l’acceptation de leur souffrance et des violences vécues. Victoire Deveau, chargée de projet à la Fédération France Victimes explique que « cette plateforme en ligne répond à un double objectif : permettre de prendre la mesure globale et détaillée de la situation vécue par la personne et faciliter ses démarches judiciaires et sociales. »

Il s’agit là d’un bon moyen de libérer la parole des hommes victimes d’agressions sexuelles. Puisque ces derniers n’ont pas la force de se confier à qui que ce soit, ils peuvent tout simplement conserver leur histoire, pendant qu’ils prennent conscience de ce qui leur est arrivé, qu’ils se reconstruisent puis décident de débuter des procédures judiciaires. Victoire Deveau explique qu’en apportant « toutes ces conditions favorables à l’expression de soi et de son mal-être dans un outil sécurisé, la personne victime de violences peut prendre du recul sur la situation vécue. Et au fur et à mesure, en consultant notre documentation et nos témoignages à disposition, la personne va également se sentir plus légitime et enfin comprendre les violences qu’elle a subie afin de pouvoir être accompagnée dans ses futures démarches. » 

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À sa création, Mémo de Vie était uniquement à disposition des femmes subissant des violences sexuelles. ©Mémo de Vie

Sur le site Internet de Mémo de Vie, on peut retrouver le témoignage de Sacha. Ce dernier raconte : « Grâce à Mémo de Vie j’ai pu mettre des mots sur ce que je vivais et prendre du recul : j’ai pris conscience que j’étais victime. » Alex, une autre victime confie « que cela fait mal quand on relit. Mais ça permet d’avancer, d’extérioriser tout ça, de pouvoir reconstituer ce qu’il s’est passé, pas comme un vague souvenir. Cela aide beaucoup. » Victoire Deveau a également fourni à notre équipe de journalistes des témoignages exclusifs, mais anonymes, de professionnels concernant l’utilisation de Mémo de Vie. Ainsi, un procureur de la République écrit que grâce à cette web-app, « au moment où elle aura enfin franchi le pas de la plainte, la victime va arriver avec un dossier beaucoup plus complet. Sa plainte sera plus crédible, plus étayée et donc bien plus exploitable en termes de preuves dans le cadre de démarches judiciaires. Cela donne au magistrat une vision beaucoup plus fine de la réalité. » Une avocate ajoute également qu’il s’agit là « d’un moyen pour la victime de participer à la défense de ses propres intérêts le jour où elle décidera de lancer une procédure »

Mémo de Vie possède, en revanche, des limites. Par exemple, si l’homme victime se trouve dans une relation abusive où il subit des violences sexuelles, il peut lui être difficile de cacher son téléphone ou de se retrouver seul suffisamment longtemps pour se renseigner sur sa situation ou être mis en relation avec un psychologue ou un avocat. De plus, les indices et témoignages recueillis sur la web-app ne pourront pas, dans la totalité des cas, être utilisés lors d’une procédure judiciaire. Victoire Deveau explique que « les éléments regroupés sur Mémo de Vie ne sont que des indices et ce sera au juge de les considérer comme preuves dans le jugement. Et bien que le journal ne soit que descriptif et les documents indicatifs, le travail fait par la victime sur ces éléments lui permettra de mieux préparer ses démarches, de clarifier son discours, de diminuer sa peur d'oublier des éléments et ce sera donc bénéfique dans son parcours. »

Mémo de Vie compte aujourd’hui 20 000 utilisateurs et utilisatrices. Depuis son lancement, il y a deux ans, 2 355 comptes ont été créés et 11 950 fichiers sont enregistrés sur la plateforme. À ce jour, la web-app a permis 1 500 mises en relation grâce à 1 200 professionnels accompagnants impliqués dans le développement et la pérennité de la plateforme. Mémo de Vie éprouve tout de même des difficultés à s’exporter et à faire rayonner sa solution à l’étranger. Bien qu’elle soit en collaboration avec Victim Support Europe, une organisation se battant pour défendre les droits des victimes en tout genre, France Victimes n’a pas réussi, après de nombreux échanges, à installer le concept de Mémo de Vie ailleurs qu’en France. « Beaucoup sont intéressés par notre format, la Belgique et le Canada notamment, explique Victoire Deveau. Mais puisque la plateforme n’est disponible qu'en français et que l'aide aux démarches concerne les lois françaises, nous ne pouvons pas exporter Mémo de Vie tout de suite. » 

En solitaire : les bienfaits de la thérapie

Parmi les solutions à disposition des hommes victimes de violences sexuelles, la psychanalyse apparaît comme l’une des plus évidentes, mais également des plus bénéfiques. Dominique Demoniere explique que « lorsqu’on libère la parole, qu’on se confie à quelqu’un de confiance, on règle la moitié du problème, on efface la moitié de l'événement ». À travers la thérapie, les hommes victimes peuvent réussir à accepter leur condition et la violence qu’ils ont subie. « Il faut accepter que cette histoire fait à tout jamais partie de notre vécu pour continuer à se construire, en observant le positif dans notre vie, continue Dominique Demoniere. Un homme ne se résume pas à son agression, il n’est pas défini par cet événement. » 

Après avoir mis en lumière le vécu de l’homme victime de violences sexuelles, la thérapeute utilise le récit narratif pour déculpabiliser la personne et la soulager de son poids : « J’accompagne les hommes et je les aide à raconter leur histoire à travers un support papier ou visuel. On ne se concentre pas sur ce qu’on leur a fait, mais sur ce qu’ils sont, le but étant de les transférer d’un état de victime à la sensation d’être un héros. » Dominique leur fournit également une aide lors du passage au dépôt de plainte en les accompagnant dans cette épreuve. Elle travaille également sur le pardon, si l’homme victime souhaite pardonner à son agresseur, et les aide à effacer, en partie, le souvenir de leur abus, notamment grâce à l’hypnose. « Le cerveau est bien fait, raconte-t-elle. Quand on vit quelque chose, il nous place la situation partout, c’est pour cela qu’il faut faire en sorte de détruire ce souvenir douloureux. Ça passe par un rituel où l’on travaille sur les émotions comme la colère ou la tristesse. Par exemple, l’un de mes patients voulait tuer son agresseur. On a donc effectué tout un travail pour que l’homme fasse souffrir son agresseur mais uniquement dans son inconscient, pour le soulager. On va utiliser des méthodes de scénarisation et faire très attention à ce que la victime sorte de cet état agressif avant de sortir de son état hypnotique. » 

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En plus de la psychanalyse, Dominique Demoniere pratique l’hypnothérapie.

La psychanalyse et l’hypnose apparaissent donc comme des solutions durables pour les hommes victimes de violences sexuelles. Mais il existe de nombreuses limites à cette pratique. Tout d’abord l’aspect financier. En effet, le prix moyen d'une consultation chez un psychologue s'élève généralement autour de 50 à 70 € par séance d’une heure. Pour certains spécialistes, concentrés sur des thématiques précises comme les violences conjugales, les thérapies de couple ou encore les agressions sexuelles, ces prix peuvent s’élever pour atteindre des sommes de 80 à 150 euros. Le travail peut également être particulièrement long. Aurélien (nom d’emprunt), victime de viol par son ancien partenaire il y a deux ans, continue toujours de consulter sa psychologue et ce, depuis un an, une fois par mois. « C’est devenu comme un rituel pour moi, raconte-t-il. Ça me fait énormément de bien et ça me permet d’avancer dans l’acceptation de ma relation d’emprise et de l’abus sexuel que j’ai subi. Malheureusement, ce n’est pas gratuit, j’ai probablement dépensé plus de 500 euros en thérapie depuis le début de l’année 2022. » De plus, l’hypnothérapie n’est pas fiable à 100% et ne marche pas sur l’ensemble de la population. Consulter un psychiatre peut parfois s’avérer une solution plus économique puisque certaines mutuelles prennent totalement charge la facturation des séances.

Plus récemment, le dispositif Mon Psy a fait son apparition le 5 avril 2022. Cette plateforme permet aux patients, de plus de trois ans et atteints de troubles psychiques légers à modérés, de bénéficier du remboursement de huit séances d'accompagnement psychologique par an. Mais ce dispositif gouvernemental présente également de nombreuses failles. Tout d’abord, les victimes ne bénéficient que de huit séances par an. De plus, le patient doit être référé par son médecin généraliste avant de pouvoir adhérer au dispositif. Enfin, le psychologue doit rendre compte du déroulement des séances au médecin traitant ayant référé la victime, chose qui va totalement à l’encontre du secret professionnel des psychologues et peut désarçonner les hommes victimes de violence, déjà remplis de honte et de culpabilité. 

En groupe : quand les hommes se livrent ensemble

Autre dispositif à la disposition des hommes victimes : les groupes de parole. L’inclusion des hommes dans ces groupes n’est que très récente. Anya Tsai, coach de vie, thérapeute et créatrice de l’association Les Résilientes, qui vient en aide aux victimes de viols et violences sexuelles est la première à avoir lancé un groupe de parole entièrement réservé aux hommes en 2019. Toutes les deux semaines, elle anime ce dispositif dans l’espoir d’amener les victimes vers le chemin de la résilience et de la reconstruction. La Fédération France Victimes ou encore les différents Instituts de Victimologie de France animent également des ateliers du même genre mais ici, sans distinction de genre : les hommes, comme les femmes sont les bienvenus. Enfin, SOS Inceste a mis en place un groupe de parole pour les victimes mineures au moments des faits. 

Ces différents dispositifs permettent aux hommes victimes de violences sexuelles de pouvoir échanger entre elles, de partager leur vécu et de libérer la parole autour d’un sujet encore tabou aujourd’hui. Pour Dominique Demoniere, l’un des principaux bénéfices du groupe de parole est de « permettre à la victime de comprendre qu’elle n’est pas seule, que beaucoup d’autres personnes ont subi ce type de violences et surtout qu’il est possible de s’en remettre ». Mais elle ajoute que « cela demande une certaine avancée dans son cheminement personnel avant de rejoindre ce type de groupe ». De plus, ces dispositifs ne sont accessibles que dans très peu d’endroits en France. Par exemple, le groupe de parole réservé aux hommes de Anya Tsai se réunit uniquement à Paris. Mais pour pallier cela, la jeune femme organise également des groupes de parole en visioconférence : « La solution idéale pour les personnes qui n’ont pas de groupe de parole en présentiel près de chez eux, les personnes en province ou à l’étranger par exemple », écrit-elle sur son site Internet. 

Pour les hommes victimes de violences sexuelles, des solutions commencent donc à émerger, bien qu’elles restent discrètes et peu nombreuses. Mais, comme l’explique si bien la thérapeute Dominique Demoniere, « chaque personne avance à son rythme et les hommes arrivent à se soulager de leur souffrance de bien des moyens ». Notons tout de même, malgré tout, qu’il n’existe, à ce jour, aucune association ou dispositif en France visant exclusivement à aider, accompagner et recueillir la parole des hommes victimes de violences sexuelles. Mais les propositions détaillées par les associations françaises ne cessent de se développer et de devenir plus inclusives chaque jour, comme le prouve Anya Tsai en créant le premier groupe de parole pour les hommes. 

Octavien Thiebaud et Thomas Squarta

Interview filmée d'Ulrick Lemarchands

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